« C’est une œuvre très profonde — le côté sombre de Ravel —, et la dernière note ressemble au couperet d’une guillotine ». C’est en ces termes qu’Alexandre Tharaud évoque pour Apple Music Classical le Concerto pour la main gauche de Ravel, une pièce écrite en 1930 pour le pianiste autrichien Paul Wittgenstein, qui avait perdu un bras lors de la Première Guerre mondiale. « Beaucoup de pianistes ne veulent pas jouer ce concerto, parce qu’il n’est pas facile. »
Tharaud, cependant, est irrésistiblement attiré par les secrets intimes du Concerto pour la main gauche. « J’aime ça, j’aime le danger », dit-il. « Sans la main droite, c’est difficile pour les pianistes, parce que c’est habituellement la main qui fait chanter la musique. Ce concerto est volcanique, et même violent, mais il est aussi très bien écrit pour le ou la soliste. Il existe peut-être une trentaine d’autres concertos pour la main gauche, mais Ravel est le seul compositeur à avoir trouvé un bon équilibre entre le piano et l’orchestre. Je pense que c’est l’un des plus beaux concertos de l’histoire de la musique. »
Sur ce nouvel album, Tharaud associe son interprétation saisissante du Concerto pour la main gauche avec le Concerto pour piano en sol majeur de Ravel, beaucoup plus connu, où les deux mains du ou de la soliste sont nécessaires. Il s’agit, selon lui, d’un type de composition très différent. « L’architecture, le son et la couleur sont tous différents. Le concerto pour piano en sol est plus léger, d’une grâce plus classique, proche de Mozart. »
L’interprétation étincelante par Tharaud des premiers et derniers mouvements du Concerto en sol majeur fait ressortir la vivacité de l’imagination musicale de Ravel, ainsi que son oreille remarquablement aiguisée pour l’orchestration. Le mouvement lent du concerto, en revanche, est interprété avec un sang-froid exquis, le pianiste entretenant un dialogue poétique avec l’éloquent cor anglais de l’Orchestre national de France. « La personnalité de Ravel est très présente dans ce mouvement », observe Tharaud.
La troisième et dernière pièce de l’album est Nuits dans les jardins d’Espagne du compositeur espagnol Manuel de Falla, une œuvre en trois parties qui s’inspire de véritables sites naturels tels que l’Alhambra de Grenade et la Sierra de Cordoue. Pour Tharaud, il s’agit d’un défi bien autre que les concertos de Ravel.
« Je le vois comme un ballet ou un opéra, où Falla veut stimuler l’imagination de l’auditeur et de l’auditrice. En outre, le rôle du piano est différent de celui qu’il joue dans un concerto — il est plus à l’intérieur de l’orchestre, comme une partie de la structure globale. La mise en évidence des solistes n’est pas aussi claire ; c’est peut-être la raison pour laquelle, de nos jours, cette œuvre n’est pas jouée en concert autant qu’elle devrait l’être. »
Mais Tharaud a des raisons bien précises de vouloir inclure les Nuits dans les jardins d’Espagne dans un album principalement consacré à Ravel. « Falla a passé sept ans à Paris, de 1907 à 1914, et a rencontré de nombreux compositeurs français », explique-t-il. « Ravel et lui se connaissaient très bien, et quand je joue leur musique ensemble sur cet album, je ressens profondément ce lien et cette amitié. »