The Musical Offering
Le chef-d’œuvre décisif dans la carrière d’Edward Elgar était à l’origine une distraction amusante destinée à éviter d’écrire des œuvres chorales de grande envergure, qui n’avaient pas réussi à susciter plus qu’un intérêt poli. Selon la légende, un jour de 1898, le compositeur rentre chez lui, fatigué par une journée passée à enseigner le violon, et improvise distraitement au piano lorsque sa femme, Alice, l’interpelle : « Edward, c’est une bonne mélodie ». Elgar commence alors à imaginer comment certains de ses amis pourraient jouer cet air : les Variations Enigma pour orchestre (1899) qui en résultent sont dédiées « à mes amis décrits ici », chaque variation étant le portrait musical d’un personnage de son proche entourage. Le thème d’ouverture est suivi d’une variation douce, mais richement texturée représentant Alice, une contre-mélodie aux bois mimant la façon qu’avait Elgar de siffler lorsqu’il arrivait chez lui. Viennent ensuite plusieurs de ses amis, certains excentriques ou très caractérisés comme « R.B.T. » (Richard Baxter Townsend, un acteur amateur capable d’intonations extrêmes avec sa voix, que la musique tente d’imiter) ou des âmes plus douces, telle la riante « Dorabella ». Arrivent après ceux qui lui sont les plus chers, comme son chaleureux éditeur de musique, Augustus Jaeger, évoqué dans « Nimrod » (le puissant chasseur de la Bible — Jaeger signifiant « chasseur » en allemand), ou même leurs fidèles compagnons, comme Dan le bouledogue, le véritable héros de « G.R.S » (les initiales de son maître, l’organiste George Robertson Sinclair). Pour l’avant-dernière variation, « *** » Elgar a prétendu qu’il s’agissait d’un portrait de son amie Lady Mary Lygon, qui était en voyage en mer lorsqu’il l’a composée (d’où la citation qu’elle contient de Calm Sea and Prosperous Voyage de Mendelssohn). Cependant, il a été prouvé depuis qu’il s’agissait en fait de sa fiancée Helen Weaver, qui s’était embarquée pour la Nouvelle-Zélande après avoir rompu leurs fiançailles en 1884. Enfin, l’autoportrait d’Elgar — grandiose et vigoureux — conclut l’une de ses œuvres les plus connues, pour sa musique et ses énigmes.